LES ARN AMORCEURS

Beljanski et ses collaborateurs vont maintenant entreprendre, à partir de 1973, des recherches
extrêmement originales qui mèneront à la mise au point de plusieurs médicaments d'une
conception entièrement nouvelle.

Beljanski sait que les petits ARN riches en bases puriques sont doués de propriétés
remarquables et certains travaux effectués au Japon et aux Etats-Unis ont confirmé ses
conclusions. I1 a montré que les divers ARN transformants, composés de 120 à 160 nucléotides,
transmettent des informations génétiques et que les ARN tumorigènes, du même ordre de
grandeur, causent des cancers chez les plantes.

Mais d'autres ARN, encore plus courts, de 10 à 70 nucléotides, sont découverts in vivo, par différents
chercheurs, fixés sur des molècules d'ADN qui viennent d'achever leur réplication; et tout semble
indiquer que, dans le déclenchement de celle-ci, ces ARN de petite taille ont un rôle à jouer.

Les premiers, Beljanski et ses collaborateurs isolent ces ARN, les analysent et leur trouvent
encore une exceptionnelle richesse en bases puriques. Avec cette molécule, ils ont entre leurs
mains la clef d'un domaine où s'offre la possibilité, si longtemps recherchée par tous les
biologistes, d'agir sur la réplication de l'ADN.

Ils décident de tenter la synthèse de molécules nouvelles d'ARN, semblables, mais non
identiques, à celles qu'ils viennent d'isoler.

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Stimulation de la réplication de l'ADN de moelle osseuse par /es RLB

A cette fin, ils vont utiliser la PNPase. S'ils opèrent dans les conditions normales, à 36 °C, en
fournissant à l'enzyme les quatre nucléotides différents qui entrent dans la composition d'un
ARN, la molévule obtenue aura la structure primaire d'un ARN normal: les bases puriques et
pyrimidiques s'y trouveront en proportions sensiblement égales.

Le déséquilibre recherché, l'excédent de purines, peut cependant être obtenu en travaillant à
70 °C, en présence de très faibles quantités de ribonucléase pancréatique; celle-ci, en coupant
le ribopolymère en formation au niveau des bases C et U. qu'elle excise, favorise
l' accumulation des bases A et G. Dans les conditions de l' expérience, la PNPase, en quelque
sorte protégée par la présence d'ions magnésium et des substrats sur lesquels elle doit agir, peut
travailler à cette haute température.

Beljanski et ses collaborateurs réussissent de cette manière à synthétiser un petit ARN dans
lequel le rapport des bases puriques aux bases pyrimidiques est proche de 2.

Ils vont maintenant tester son activité.

In vitro, dans un mélange contenant toutes les matières premières nécessaires à la synthèse
d'ADN (les quatre désoxyribonucléotides, les sels minéraux, l'enzyme de polymérisation
appelée ADN polymérase ADN dépendante parce qu'elle synthétise de 1'ADN à partir d'un
ADN) est introduit un ADN hautement purifié, sans trace d'ARN: sa réplication est quasi nulle.

Les chercheurs ajoutent le nouvel ARN qu'ils ont synthétisé: la réplication de 1'ADN est
stimulée de façon spectaculaire.

Elle a été mise en route par le petit ARN riche en bases puriques. I1 n'intervient que pour
amorcer la réplication; elle se poursuit ensuite normalement sans son intervention.

Beljanski donne à sa nouvelle molécule le nom "d' amorceur". C' est ce que les Anglo-Saxons
appellent un primer. L'équipe française a, pour la première fois au monde, réussi la synthèse
d'un ARN actif dans la réplication de 1'ADN.

Ce résultat est annoncé à l'Académie des Sciences, le 9 février 1974, par le célèbre virologue
Pierre Lépine"', qui ne craint pas de souligner, à cette occasion, l'importance nouvelle prise par
les ARN, si contraire au dogme soutenu par la science ''officielle''.

Le premier amorceur synthétisé stimule très fortement la réplication d'ADN provenant de
mammifères et de bactéries, mais il est pratiquement sans effet sur 1'ADN extrait de
bactériophages: il manifeste une spécificité.

Cette propriété va se confirmer. L'équipe parvient à isoler et à analyser un ARN amorceur
spécifique des bactériophages lambda et T4, puis à synthétiser une molécule similaire
spécifique de ces phages.

Finalement, Beljanski et ses collaborateurs disposeront d'une série d'amorceurs spécifiques
d'ADN de provenances très diverses: mammifères, bactéries, virus, dont, en particulier, des
bactériophages.

Mais, depuis le début, Beljanski cherche à savoir comment la cellule vivante parvient à créer
ses amorceurs. Il postule d'abord l'existence de réactions enzymatiques encore ignorées - il en

(1) Membre de l'lnstitut de l'Académie de Médecine, le Pr. Pierre Lépine était, à l'époque, directeur du Service des
Virus à l'lnstitut Pasteur.

demeurait, en 1974, encore plus qu'aujourd'hui - mais il insiste sur l'importance de la PNPase,
dont le rôle physiologique précis est inconnu.

I1 devait découvrir peu après un autre mécanisme, sans doute le. plus fréquent, au moyen duquel
des ARN de petite taille peuvent être produits au sein d'une cellule.

En effet, pour mener à bien les expériences qu'ils veulent entreprendre, Beljanski et ses
collaborateurs ont besoin d'amorceurs disponibles en grande quantité et relativement peu
coûteux. La méthode de synthèse qu'ils ont utilisée jusqu'alors ne peut répondre à cette
demande et, de plus, elle ne correspond pas à un processus physiologique. Or Beljanski a
toujours eu le souci de se maintenir aussi près que possible des conditions naturelles.

C'est alors qu'il a l'idée de découper en fragments courts, à température ordinaire, à l' aide
d'une ribonucléase, enzyme qu'il est facile de se procurer, un ARN abondant et de grande
longueur, 1'ARN ribosomique d'E. coli, bactérie aisée à cultiver.

Les premiers fragments sont découpés dans 1'ARN ribosomique riche en bases puriques et
spécialement abondant que contient le mutant d' E. coli résistant à la showdomycine (Sho-R)
dont nous avons parlé à l'occasion de la découverte des ARN transformants.

Par la suite, pour éviter une surabondance de bases puriques et pour varier la composition des
fragments, 1'ARN ribosomique de la souche sauvage sera utilisé.

Les nombreux fragments obtenus par la méthode du découpage sont testés in vitro sur des ADN
extraits de matériels variés. Pour l'instant, l' équipe est à la recherche d' amorceurs. Elle en
trouve un certain nombre et a bientôt à sa disposition des ARN-fragments qui se comportent in
vitro comme des amorceurs spécifiques de la réplication d'ADN provenant de sources bien
déterrninées: bactériophages, virus, bactéries, cellules végétales, cellules animales.

En 1984, dix ans après ces travaux, des chercheurs américains, parmi lesquels un prix Nobel
qui était au courant des nombreuses réalisations de l'équipe française, ont, sans la citer,
fidèlement copié sa méthode pour obtenir des ARN amorceurs actifs sur une étape de la
réplication des rétrovirus. Mais fermons cette parenthèse.

Avec la création des ARN-fragments, Beljanski vient de nouveau de faire une découverte
majeure. En sélectionnant les fragments issus du découpage enzymatique, en changeant
d' enzyme de découpage, en modifiant diverses conditions expérimentales, il aura à sa
disposition toute une gamme de molécules capables de participer à certains des processus
physiologiques majeurs de la cellule. Les ARN-fragments vont représenter un outil
d'investigation, entièrement inédit au moment où il l'a découvert et utilisé, qui lui permettra de
comprendre certaines régulations naturelles ainsi que certains dysfonctionnements. En outre,
plusieurs ARN-fragments constitueront les principes actifs de ses premiers médicaments.

Beljanski vient, également, de montrer la puissance d'une réaction enzymatique: le découpage
de longues châînes d'ARN par des nucléases; il se rend compte que ce découpage peut se
produire à tout instant de façon naturelle dans une cellule, pour donner naissance à une variété
de petites molécules d'ARN, les unes utiles, mais d'autres dangereuses, capables d'intervenir de
multiples façons au cours de la division et de la différenciation cellulaire. C'est une des raisons
pour lesquelles, dans la phase la plus récente de ses travaux, après que beaucoup d'autres
résultats se soient accumulés, il a tourné plus particulièrement son attention vers les régulations
de nature enzymatique qui déterminent le fonctionnement équilibré de la cellule saine.

RÉSUMÉ

Beljanski et son équipe isolent, analysent, puis synthétisent les ARN amorceurs. Ceux-
ci, plus petits que les ARN transformants et tumorigènes, mais également très riches
en bases puriques, déclenchent la réplication de 1' ADN. C' est la première fois au
monde qu'est effectuée la synthèse d'un ARN nécessaire à la réplication de l'ADN.

Les amorceurs sont spécifiques d'un type d'ADN: bactérien, viral, de mammifère, de
plante, et leur spécificité s'avère, dans certains cas, très étroite.

Pour produire des amorceurs, Beljanski met au point une méthode, le découpage
enzymatique de longs ARN provenant des ribosomes, qui lui servira tout au long de
ses recherches ultérieures et qui correspond à la voie utilisée par l'organisme pour
fabriquer une gamme étendue d'ARN de petite taille aux propriétés très diverses, les
uns utiles, les autres dangereux.