LES MARQUEURS DES CANCERS

Souvent, et plus particulièrement dans les phénomènes naturels, un déséquilibre, une fois
amorcé, s'auto-entretient. I1 en va ainsi pour les cancers des mammifères et des plantes: ils
synthétisent des molécules qui ont la propriété de déstabiliser encore plus 1'ADN tumoral.
C' est ce que font ressortir des travaux effectués par Beljanski et ses collaborateurs dans la
première moitié des années 80 et publiés à partir de 1983.

La présence d'un cancer, chez les mammifères ou chez les plantes, se traduit par l' apparition
de marqueurs, dont chacun semble assez spécifique de certains types de tumeurs malignes.
Chez l'homme, ces marqueurs, que l'on découvre de plus en plus nombreux, permettent de
suivre, à partir d'un prélèvement sanguin, l'évolution de la maladie. I1 s'agit de protéines qui,
chez l'individu en bonne santé, sont synthétisées en faibles quantités, comme la calcitonine ou
la ferritine, ou seulement très tôt dans l'existence, comme l'alpha-foetoprotéine (AFP) ou
l'antigène carcino-embryonnaire (ACE), mais qui, sous l'effet du cancer, sont fabriquées de
façon anormalement élevée ou intempestive. Les marqueurs peuvent, du reste, être produits par
des tissus cancéreux sans rapport avec les organes qui les synthétisent en temps normal: la
calcitonine, par exemple, fabriquée par les cellules C de la thyroïde, peut être synthétisée par
des cancers de l'intestin ou des bronches; l'alpha-foetoprotéine, produit du foie du fœtus et du
nouveau-né, est un marqueur du cancer du sein.

Au moment où Beljanski s'y est intéressé, le rôle des différents marqueurs au cours de la
maladie néoplasique n'était pas clair; ils étaient seulement considérés comme des métabolites
secondaires à la pathologie et très caractéristiques de son déroulement.

Or, au moyen de la méthode d'incubation in vitro en présence d'ADN de diverses origines,
l'équipe montra que ces marqueurs ont la propriété de déstabiliser fortement les ADN
cancéreux, avec une intensité particulière pour les ADN de certaines tumeurs, celles, justement,
qu'ils caractérisent: cancer du sein pour 1'AFP, tumeurs malignes du côlon, du sein et aussi
neurocarcinome pour 1'ACE. La calcitonine, dont le taux s'élève, en particulier, au cours des
cancers de la thyroide et du rein, a une importante action déstabilisante sur 1'ADN cancéreux
de ce dernier organe, mais également, ce qui était inattendu, sur 1'ADN de cancer du sein. Les
doses de marqueur nécessaires pour observer ces effets in vitro sont extrêmement faibles, de
l'ordre de 10-9 molaire.

Comme les cancérogènes, les marqueurs n'agissent pratiquement pas sur les ADN normaux;
néanmoins, 1'AFP déstabilise de façon un peu plus perceptible 1'ADN de foie humain, organe
qui est sa source normale principale, et 1'ACE a un effet un peu plus marqué sur les ADN de
côlon et de foie"'.

La synthèse des marqueurs par les tissus cancéreux peut s'expliquer par la déstabilisation
considérable de leur ADN, qui autorise l'expression de gènes normalement réprimés. A ce
moment commence un cercle vicieux: les marqueurs favorisent leur propre synthèse et la
multiplication des cellules; plus elles sont nombreuses, plus la quantité totale de marqueurs
augmente. . .

Les cancers des plantes ont aussi leurs marqueurs. Les tissus de crown-gall synthétisent des
opines (ou guanidines): l'octopine, la nopaline, la lysopine. Ces acides aminés sont

(1) 11 ne faut pas oublier que le. foie est le. grand collecteur et éliminateur des substances toxiques introduites dans
l'organisme. Leur présence pourrait donc avoir une influence déstabilisante sur l'ADN de ses cellules.

communément considérés comme des métabolites fortuits, caractéristiques de tumeurs
végétales.

Beljanski et ses collaborateurs ont montré que les opines induisent la séparation des chaînes de
1'ADN de crown-gall et augmentent sa synthèse, tout en n'ayant qu'une action très faible sur
1'ADN des cellules végétales normales. Comme les marqueurs des cancers de mammifères,
chacune des opines exerce une action privilégiée sur 1'ADN des cancers qui la synthétisent.

En outre, les opines ont un effet déstabilisant sur 1'ADN des souches tumorigènes
d'A. tumefaciens, qui, nous l'avons vu, est déstabilisé de nature, tandis que celui des mutants
non virulents est normal. Cependant, quand les ADN de certains de ces mutants sont incubés
en présence d'auxine, celle-ci, par son action déstabilisante, les rend sensibles à l' action des
opines. Cette observation confirme le fait que la virulence de la bactérie est liée à la
déstabilisation de son ADN et permet d'expliquer pourquoi certaines souches ne peuvent
induire de tumeurs en l' absence d' auxine, nécessaire pour accomplir l' indispensable
déstabilisation préalable. Rappelons que cette dernière conditionne, en particulier, l'excrétion
de 1'ARN tumorigène par la bactérie. Nous avons vu que la présence d'auxine est également
requise pour que cet ARN tumorigène isolé, pur, induise des tumeurs lorsqu'il est inoculé à une
plante; cette fois, 1' auxine doit déstabiliser 1'ADN de la cellule végétale pour le rendre réceptif
à 1'ARN tumorigène. Les cals auxiniques, riches en hormone de croissance, répondent bien,
eux aussi, à l'action des opines.

Existe-t-il au niveau de l'effet des marqueurs des cancers, comme il y en a à d'autres égards,
des réponses communes aux tumeurs animales et végétales ? Les marqueurs des mammifères
agissent-ils sur 1'ADN de crown-gall et les opines déstabilisent-elles les ADN des tumeurs
animales ?

Dans une série d'expériences, publiées en 1986, Beljanski et son équipe ont montré que tous
les marqueurs humains qu'ils ont testés déstabilisent 1'ADN de crown-gall. Les effets in vitro
de 1'AFP, de 1'ACE, de la calcitonine, de la ferritine sont confirmés par la stimulation qu'ils
exercent in vivo sur la croissance des cellules tumorales de pois (Pisum sativum) et de Datura
stramonium, ainsi que sur celle des lignées de tissus tumoraux de tabac (Nicotiana tabacum) et
de vigne vierge (Parthenocissus tricuspidata) . L' action des marqueurs est. en revanche, très
faible sur 1'ADN des tissus sains correspondants.

Au contraire, les opines n'ont aucun effet déstabilisant sur les ADN des tissus cancéreux de
mammifères, ni, a fortiori, sur le développement des tumeurs in vivo.

Pour obtenir un même effet, in vivo, sur la croissance des tumeurs de crown-gall, les
concentrations nécessaires de marqueurs humains étaient un million de fois plus faibles
(10-'2M, soit de l'ordre des doses homéopathiques) que celles d'octopine ou d'auxine (AIA:
acide indole acétique). Elles étaient également mille fois plus basses que les concentrations
exigées pour que se manifeste une action sur les cancers des mammifères. Mais il faut tenir
compte du fait que les marqueurs humains ont été inoculés dans un segment de plante cultivé
in vitro, donc dans un système fermé, tandis que, dans les conditions physiologiques
habituelles, l'organisme du mammifère élimine une partie des marqueurs présents.

RÉSUMÉ

Beljanski étudie les marqueurs des cancers, ces métabolites qui accompagnent le
développement tumoral, tant chez les mammifères que chez les plantes, et dont
chacun caractérise un nombre suffisamment restreint de types de cancers pour que
l'élévation de son taux soit utilisée chez l'homme comme critère de l'évolution de la
maladie.

L'équipe démontre que, loin d'être de simples retombées mineures des cancers, les
marqueurs ont un effet fortement déstabilisant sur 1'ADN tumoral, plus
spécifiquement sur celui des tumeurs dont ils sont caractéristiques: produits par le
cancer, ils l'entretiennent.

ns n'affectent pratiquement pas les ADN normaux. Leur synthèse s'explique par la
déstabilisation des ADN cancéreux, qui autorise l'expression de gènes normalement
silencieux.

Des marqueurs humains tels que l'AFP, I'ACE, la calcitonine, la ferritine sont
capables de déstabiliser 1'ADN des cellules cancéreuses végétales et accentuent la
croissance des tumeurs de crown-gall.

En revanche, les marqueurs végétaux ou opines (octopine, nopaline, lysopine) ne
déstabilisent pas les ADN des tissus cancéreux de mammifères.